From NASA to
Solutré
Septembre. De Bruxelles au val Ferret suisse via Lyon.
15/ 09.2011
Je roule à la fraîche parmi les collines de Lorraine aux contreforts
de brume sous un ciel dégagé. À la radio j’entends qu’un nouveau projet NASA est lancé.
Explorer l’univers malgré la crise financière, occuper mars en
2030.
La distance évoquée dans le temps et l’espace modifie mon regard sur
le paysage dont les éléments fuient dans toutes
les directions.
Nos immenses efforts n’atteindront qu’une marge infime de ce
multivers.
Ce multivers offre-t-il des horizons ?
<- roche de Solutré
Marche au départ de Pierreclos dans le Mâconnais, entre Beaujolais
et le pays de Cluny. Le chemin soudain se fait sentier qui monte sur le calcaire parmi le buis et le genévrier.
Biotope caussenard le plus nordique dont je prends
connaissance.
Biotope très ancien dont l’aridité est sans doute due à l’activité
pastorale remontant peut-être au néolithique.
Haut lieu du Quaternaire, la roche de Solutré sous différents angles
atteste l’ancienneté des lieux. Cette montée du sentier vers la montagne de Cras (506 m) est ainsi une remontée dans le temps.
La vigne omniprésente, à l’origine très ancienne, manifeste une
continuité pleine d’avenir.
Marche préparatoire à celle que je ferai dans le val
Ferret en Suisse. Là encore je monterai dans le temps.
La vache d’Hérens y est un vestige de la préhistoire. Ces vaches
rustiques datent du néolithique. Elles descendent directement de l’auroch.
Mâconnais, pays de transition qui est signe aussi de transition
d’époques, celles du pléistocène à l’holocène.
Vache d’Hérens :
Voyage qui frôle des couches de temps superposés de la préhistoire à
la modernité. Du solutréen à la modernité via le néolithique lorsque l’homme de Neandertal passa la main au Sapiens.
Coexistence aussi d’êtres différents, naturels ou artefacts. Dans le
causse de la montagne de Cras, des murets, purs artefacts, délimitent des espaces où se répandent le buis sauvage et le genévrier.
-x-
Randonner consciemment, c’est faire de l’un avec du multiple,
établir des relations entre les aspects contrastés de paysages et les préoccupations présentes de la pensée pour aboutir aux sensations-pensées de Powys.
Comme la navigation, la randonnée implique l’anticipation, la
communication. Il se pose une série de questions : quels sont les ressources d’une région, peut-on y trouver du logement, de l’alimentation, des moyens de transport complémentaire ?
Quel est l’intérêt culturel de terres désertées ?
Quels sont les prévisions météorologiques ? Car le climat joue
un rôle essentiel dans l’activité de la randonnée tout comme dans l’évolution humaine.
Mais avant tout, il y a le choix de l’itinéraire. Celui–ci émane
forcément d’un désir, d’une vision de l’environnement, d’une anticipation quant à l’intérêt et l’émotion que l’on vivra. Les itinéraires contrastent ou se complètent. Beaucoup méritent d’être
répétés dans d’autres circonstances. L’aspect esthétique est essentiel dans le choix de la randonnée qui est une mise en ordre de directions et de bifurcations. Tout ordre est ordre esthétique,
dit Whitehead.
Il faut des années pour connaître plus ou moins un grand
massif.
L’idée d’un itinéraire peut provenir d’une photo, d’une conversation
avec des amis, de la lecture fortuite d’un article, de la redécouverte d’une carte topographique achetée autrefois…
De l’idée à la décision se déroule un processus marqué souvent par
l’aléatoire.
Hasard et déterminisme collaborent dans l’élaboration de ces
processus. On sait que le hasard est la rencontre fortuite de séries causales indépendantes. Sans le hasard pas de création ; sans déterminisme il n’y aurait que du chaos.
Le choix d’itinéraires dépend encore du cycle des saisons. Le poète japonais du 17e siècle Basho évoque ce besoin de partir au printemps.
« Toujours en lutte avec moi-même, je ne connaissais pas le repos
lorsque l’esprit de l’errance s’empara de moi. Je ne pus plus rien tenir entre mes mains. M’accompagnait quelqu’un qui aussi était envoûté par le vent et les
nuages ».
L’homme sédentaire soudain est rattrapé par son nomadisme
préhistorique. Il se réveille prenant conscience de toute autre chose que son confort immédiat.
Perce-neige, hellébores, pervenches, jonquilles, anémones sylvie, ail des ours, jacinthes bleues, orchidées, lilas, aubépines, sureaux,
tous signes référant à une période de l’année.
Les jonquilles annonçant la fête de pâques couvrent certains bois et
campagnes d’une vibrante présence. Je les cherche activement,
dans mon quartier à Bruxelles, et plus au sud, au-delà de Mons dans le haut pays des Honnelles, et plus loin encore en baie de Somme, en Vimeu, rive gauche. Je les découvris aussi fortuitement
dans le Vivarais par champs entiers.
La randonnée est une navigation dans l’hypertexte de l’environnement. On conçoit
un itinéraire linéaire muni éventuellement de quelques boucles. Le temps d’arriver au point de départ, des idées surgissent qui aménagent le projet.
La météo peut faire permuter les séjours en rase campagne et en ville.
Je voyage toujours avec un sac rempli de cartes pour documenter des
alternatives. Il peut être utile d’effectuer un transfert de quelques centaines de kilomètres pour trouver ce minimum de lumière permettant de mieux percevoir l’environnement.
C’est la météo qui me fit permuter le passage à Lyon avec le séjour
en val Ferret et donc m’orienta en premier lieu vers la Lorraine et le Beaujolais.
Des randonnées antérieures influencent les décisions ultimes, celles que l’on
prend sur le terrain.
Une visite du Clunisien en juillet m’orienta vers Pierreclos dans le
mâconnais. Les souvenirs peuvent agir comme des fossiles excitant l’intérêt du paléontologue sur le terrain.
Ceci donna à innover dans ce massif inépuisable qu’est le
Beaujolais, en foulant sa frange nord qui se confond avec le mâconnais. Mon nouveau point de vue permit de situer mes pas de juillet via le rocher de Roche Coche et le bourg de
Berzé-la-ville.
Et aussi de repérer sous un autre angle le rocher de Solutré. D’un
coup d’œil, une glissade dans le temps via le moyen-âge jusqu’à la préhistoire.
Le solutréen, -20 000 ans, le pléistocène, transition de l’homme de
Neandertal au Sapiens, l’art pariétal…
Berzé, Solutré, des traces d’autres réalités fort écartées dans le temps mais
unifiées dans ma pensée, ici en septembre 2011, sur ce causse que je viens de découvrir, lui-même trace d’une civilisation pastorale.
Je ne suis plus seul, une foule m’entoure, je tente d’ordonner un
discours imaginaire.
Le grand bleu donne au pays sa pleine sérénité. Et je prête une
attention particulière aux vignobles qui se répandent sur le versant.
Il est la trace d’un effort continu, d’une foi intense dans la
valeur d’une activité qui sera reconnue dans le monde entier par ses produits de qualité, les vins d’un terroir particulier.
Les fleurs aussi sont des traces. Ici je repère l’oeillet rose. Quelques
semaines plus tôt, dans le Palatinat, j’avais repéré les colchiques en avance sur l’automne. En Lorraine j’avais été séduit par quelques gentianes d’automne d’un bleu profond. La rareté de ces
fleurs accentuait leur signification.
La randonnée est un processus analogue à la programmation
symbolique : concevoir, exécuter, éditer un output d’images, de rencontres, d’impressions…
16/09/2011
Lyon, charnière plutôt que parenthèses.
Charnière entre le Nord et le Sud, entre les deux phases de mon
périple. Qui séjourne à Lyon ne doit pas opter pour l’Est ou l’Ouest, le Nord où le Sud.
Plaque tournante entre les grands massifs montagneux, tout lui est possible. Lyon illustre la coïncidence des opposés. ,
Le Rhône ouvre l’espace vers d’autres horizons. Les torrents du Valais s’unissent dans une profonde méditation vers la
lumière de la méditerranée. Les vapeurs du fleuve rafraîchissent les puissants vignobles maintenus avec art sur les coteaux.