L'asphalte vorace a dévoré nos pas las
puis
des routes se ramifièrent en chemins et sentiers d’une impitoyable curiosité sur des horizons
que le bon sens ne pourrait imaginer !
Mais plus de balise et il faut avancer …
Cairn !
C’est une sente, dit le tas de pierres, et à condition de repérer mon semblable, une direction est donnée.
La draille enfin et plus loin, corne de brume, le clocher de tourmente.
« Pistes bordées de pierres, de calcaire dans les causses, de granite en Margeride, les drailles sont témoins de l’activité pastorale qu’est la transhumance qui ne s’est terminée qu’avec le transport du bétail par camions ».
Cela nous est confirmé par un éleveur fort savant qui avoue devoir être passionné pour s'accrocher au terroir.
Car
« tout évolue… Ah les vaches ! La tendance est au retour des races rustiques, Aubrac, Salers, après une période de chasse au rendement par croisement avec la Limousine, la Montbéliarde. Mais il faut bannir la production de vaches à cul de cochon.
Adieu ! ».
Ailleurs
- Un bel endroit, la Baraque des bouviers ?
- Soit-disant
- Fréquenté ?
- Je n’y suis jamais allé.
- Bonne après-midi.
- Faites de même.
-x-
La route est longue vers le plateau du Palais du Roi, qui figure presque en blanc sur la carte, lande à bruyères bombardée de blocs de granite où l’eau se faufile.
Des cols se succèdent :
de la croix de Bor
des Trois Sœurs
du Cheval Mort.
Et
parmi les rancs, moures, trucs, sucs, tucs, poëts, pogs, puigs, pechs, pics,
riches d’abandons
nous traçons le chemin alors que vagabonde l’esprit. Ne rien faire, ne rien posséder, sans projet, l’instant présent, le feu, tout.
Margeride, haut plateau ondulé aux pelouses envahies de joncs aux reflets glissants de l’eau qui suinte.
C’est tout un réseau de chemins,
des plaines aux estives
pour troupeaux, pèlerins
et genêts flamboyants,
drailles de la Margeride
et de Languedoc Gévaudan.
Joseph Malègue évoque les charreyres « très anciens chemins, des chemins d’avant la République, et même d’avant le réseau des routes tressé et noué par les Rois… Elles conduisent les bestiaux et les hommes… Elles servent de déversoir ou de drains au ruissellement des eaux courantes, dans les grandes pluies d’automne et de printemps. Et aussi de bornes aux domaines. Et encore de dépôt pour les pierrailles dont le paysan a nettoyé son champ… Mais leurs sœurs, les traverses ne sont pas des chemins. Elles constituent comme des tolérances, des cadeaux que le paysan consent aux piétons. »
Le soir, dans la cheminée de granite, en plis capricieux et torsions de lumières, flammes à l’oeuvre sur les bûches,
de l’âtre à l’être.
Insidieux, signes d’événements passés, des souvenirs déjà font apercevoir ce qui peut-être n’a pas été consciemment perçu, l’approche de St-Paul-le-Froid en lisière des jonquilles sur fond d’orage, les villages apparaissant, très loin, furtifs, ancrés, comme Venteuges, exposés à tous les vents, un faucheur couchant les narcisses, la frange noire des lisières, le granite sous toutes les formes, murets, habitat, calvaires, et le soir la « coupétado, couches de pruneaux, raisins secs, pain sec, recouvertes d’un flanc chaud ».
En chemin regret ci et là, mais nul regard en arrière.
Présence de temps très anciens, à l’écoute du silence, elles sont trois comme il convient, les croix du calvaire, pointant vers des lointains bien réels comme pour nous dire que « nous sommes sans pouvoir contre la vérité ».
-x-
Bien après la Margeride
A6 vers Lyon, Macon, mystère des crêtes à l’Ouest, sortir du flot, faire le pas, franchir le col de Crie, déboucher sur le Haut-Beaujolais au-delà des vignobles.
Tout terroir recèle une idée, souvent informulable, mais qui fait qu’une relation d’âme à âme s’établit entre lui et le marcheur.
Sur l’éperon, dominant depuis dix siècles la vallée de la Grosne, l’église de Saint-Christophe-la-Montagne. Sans elle, le paysage serait autre. A l’instar d’un portrait de Maître classique dont le regard vous suit où que vous soyez, sa présence se manifeste partout lors d’innombrables marches au rythme et à la mesure des crêtes nues et vallons boisés.
C’est du haut d’un éperon que se constitue le paysage, où tous les sommets et agglomérations prennent une place en relation les uns avec les autres, comme chaque pierre prise au hasard acquiert un caractère de nécessité dans les murs de cette grande ferme le long de la Grosne.
Terre de transition, étape sur un des chemins de Santiago, où l’art roman, grandeur dans l’intimité d’un paysage tel que le bocage, révèle le souffle de Cluny.
Mais de plus humbles situations se présentent.
C’est l’époque des champignons. En lisière, fusil à la hanche, une silhouette.
- Du gibier ?
- Il n’y en a pas bien.
- Bonne chance !