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1 mai 2012 2 01 /05 /mai /2012 08:36

 

                                                                        Les flots  de l’abîme s’appellent l’un l’autre (Psaume 41)shipwreck



                                                             Toile de John Michael Groves

 

On se souvient de deux mille naufrages en dix siècles sur la côte Nord des Cornouailles. C’est que les ports ne peuvent y abriter que de petits navires, les falaises sont élevées, les rochers au large acérés. L’Atlantique y envoie de forts coups de vent.

Des parties de cette côte sont particulièrement inhospitalières. Death Valley, Deadman’s Cove, Hell’s Mouth entre autres désignent quelques sites non dépourvue de danger, dont des anses obscures couvertes de gros galets ronds, inaccessibles, défendues par des îlots.

Parmi les épaves énumérées, certaines sont encore visibles du haut des falaises ou en photo. Ainsi le Sarah Evans, dernier caboteur voilier, abandonné, battus par les flots, les voiles déchirées… A d’autres endroits subsistent, dispersés, des tôles et des débris de moteurs rouillés. Ou encore une coque intégrale déposée sur le granit ou brisée en équerre sur les galets, ou un voilier aux mâts, munis de voiles à  moitie carguées, parallèles à la pente de l’énorme falaiseCornwal 123

 

Visions pathétiques. Pourquoi tant de vies se terminant selon le scénario d’un naufrage ?

 

 

 

Cornwal 149

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

Mais on trouve au dessus des falaises un paysage radicalement différent. Monde rural aux alpages ondulant à l’infini, striés d’épaisses haies qui définissent des limites de propriété et forment des enclos pour le bétail. Haies très anciennes qui peuvent remonter au Moyen Âge.

Haies comme des digues végétales pour lutter aussi contre les violents vents de l’Atlantique dont l’inclinaison des aubépines, couverte de lichens, indiquent la direction.

L’âge des haies a pu être déterminé en observant que sur une longueur de 30 mètres une nouvelle espèce y est introduite tous les 100 ans, alors que ces haies comptent au total une trentaine d’espèces de végétaux. L’importance des haies est manifestée par l’existence d’un droit des haies et clôtures, tout comme aux Pays-Bas existe depuis le moyen-âge un droit des digues et des canaux.

 

Cornwal 367

 

 Le contraste des deux paysages opposés n’épuise pas ce que peut offrir cette région. Au centre se profile le plateau du Bodmin Moor, vaste lande inhabitée dominée par des crêtes qui atteignent 420 mètres. Du haut de celle–ci on peut, par beau temps, observer à la fois la Manche et l’Atlantique. Le climat y est rigoureux, la marche sur le sol spongieux est exigeante, l’orientation demande intuition et rigueur. Car nous ne disposons pas de carte et le terrain n’est que partiellement balisé. Par temps de brouillard on se trouverait dans la même situation qu’un voilier au large de côtes dépourvues de phare. Région envoûtante qui fait que l’on ne tient pas compte de l’avis de l’office du tourisme qui déconseille de persévérer en ce jour de pluie annoncée.

 

De toutes les possibilités offertes aux marcheurs, le sentier côtier de plusieurs centaines de kilomètres présente un intérêt majeur. Lieu de liberté et de vérité. Le succès dépend essentiellement de l’endurance. L’effort à fournir est celui que l’on vit en montagne, tant les dénivellations sont raides et nombreuses et proche le vide.

Liberté du regard couvrant l’océan aux teintes passant de l’émeraude au gris via des bleus  frangés par l’écume blanche. De longues vagues déferlent lentement par temps relativement calme.

Au large du cap de Hartland Point, l’île de Lundy émerge comme une puissante carène. Haute, elle est signe de beau temps ; claire, c’est la pluie ; blanche, la neige. Au-delà, on entre dans la paix du Bristol Channel.

 

L’habitat est relativement rare. La vie est rude dans ce pays, plus particulièrement qu’ailleurs affaire de « problem solving » ou de « struggle thinking ».

Mais le pays est favorable au tourisme.

Et la population a soigneusement entretenu de grandes légendes comme celle du roi Arthur et de la recherche du Graal. Le château de Tintagel est le plus grand témoin du mythe. Château aussi long que le château cathare de Peyrepertuse, réparti de part et d’autre du centre effondré.

 

Cornwal 206

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Cornwal 270Le tourisme c’est aussi Clovelly, sur le Bristol Channel. Village musée plongeant du haut de la falaise jusqu’au petit port de pêche. La vue enchanteresse sur le channel sauve quelque chose de l’âme du village. Dans la pièce principale d’une petite maison je rencontre Charles Kingsley en personne écrivant son fameux roman publié en 1855 « Westward Ho ! ». Pasteur exigeant mais ouvert à l’histoire et aux idées de Darwin, il écrivit aussi un violent pamphlet contre John Henry Newman à l’occasion de la conversion au catholicisme de celui–ci.

 

 

 

 

  Époque de radicalisme malgré l’ouverture aux idées d’évolution. Radicalisme conforme à celui des falaises séparant le plateau rural protégé par les haies de l’Atlantique sauvage. Clovelly est un site dompté dont on revient assuré que la côte Atlantique des Celtes, des aventuriers, des marins, des fraudeurs et de tout ceux qui vivent en marge, va de Hartland Point à Land’s End. « C’est dans cette étrange région que tant de curieuses syllabes celtiques subsistent, comme l’appellation « Gore », syllabes remplies d’anciennes associations mythologiques », remarque Powys au sujet d’une région voisine.

 

Des noms de villages et de hameaux rappellent ceux de Bretagne.

  

Des hommes viennent les mots,

Les mots façonnent les hommes,

Les hommes modèlent le paysage,

Les mots racontent les mouvements de l’inerte et du vivant.

 

Beckett a pris la relève de Charles kingsley en écrivant Worstward Ho. Récit qui envisage l’élimination des mots. Cet opuscule confirme ce que dit Qohéleth : « touts les mots sont usés, on ne peut plus les dire ».

Et pour cela dire encore. Dire pour dire pire. Dire des mots qui parfois sonnent vrai mais sont sujets à manquer d’ineptie. Dès lors ils doivent empirer encore…, dit Beckett en ne voulant plus rien dire.

 

Nous ne partageons pas cette vision d’un naufrage des mots. Il reste une place pour la

 

 

                                    Métaphysique

 

Lire Shakespeare à minuit,

ne pas dormir, penser,

s’interroger, creuser,

“To be or not to be“,

pourquoi l’étant

plutôt que rien ?

 

C’est au cimetière que ce tourment,

Qu’on dit métaphysique,

Saisit le prince Hamlet,

Lui trouble le tempérament

Tandis que chante gaiement

Le maraud magnifique,

soupesant tibias, crâne, osselets,

De tous grands beaux d’antan.

 

Sans plus souples grimaces

sur néant de lèvres, Yorick,

hélas pauvre bouffon,

De son tombeau profond

Nous montre le chemin

Sans pouvoir répondre au refrain :

Néant,

Pas de néant ?

 

Que oui ou non cela vous plaise,

Mieux vaut que s’angoisser

S’étonner, s’émerveiller.

Quittez donc le cimetière,

d’Ophélie oubliez les yeux chavirés.

Villon l’a bien chanté :

« Il n’est trésor que de vivre à son aise »

 

 

 Cornwal 148

 

 

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15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 06:48

CTI8712                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           

Un Ancien :

« Le mont Fuji est haut, et la neige n’y fond jamais. »

 

Un Chinois :

« Le mont Fuji est profond. »

                                                                                                                

   

 

Je suis retourné au printemps dans l’âpre pays des Pyrénées-Orientales, l’esprit non tout à fait dégagé du souci provoqué par une erreur dans l’algorithme qui devait faire tourner prochainement la nouvelle application informatique.

Je restais confiant.

L’algorithme était bien structuré comme l’ensemble de l’application. Je disposais en effet d’un outil qui me permettait de saisir, décrire et ordonner le flou des procédures de fonctionnement d’une entreprise : la théorie des graphes. Celle–ci donne une image visuelle et rigoureuse des relations entre toutes entités. Unifiant le multiple, elle rend compte non seulement d’une structure ou d’une procédure mais peut schématiser tout un réseau de communications.

 

Et sur mon terrain de ce jour, cheminant sur le sentier parmi les cistes en fleurs, au flanc des montagnes qui descendent brusquement sur la mer, non sans offrir quelque espace aux vignobles, j’imaginais un avenir aussi vaste que l’horizon fuyant la finitude.

J’en étais sûr, un réseau mondial d’ordinateurs reliés permettrait partout une communication entre tous les hommes. Et il n’était pas impossible de l’anticiper bientôt au niveau de l’entreprise.

J’y voyais une réalité encore fiction plutôt qu’une fiction en tant que réalité.

 

Cette côte dite vermeille est adossée au massif des Pyrénées qui est d’un seul tenant jusqu’à l’Atlantique et se répand en piémonts multiples en un réseau complexe dont je faisais une exploration systématique tant sur le versant français qu’espagnol.

 

Ces pensées abstraites sur les graphes et réseaux ne niaient pas les perceptions du sentier, des fleurs printanières, de la lumière, de la brise et à un niveau moins concret, avec la magie des noms tels que Coustouge, Pla Guillem, Valmanya, Serrabonne, Tres-Vents d’Avall, Sarrat Naou, Aiguesbonnes, Dourmidou, Fenouillède…

Noms d’un langage primitif dont chaque terme résume une histoire, comme un pic (un puig, pech, suc, truc, mourre, ranc…) résume le relief tourmenté qui s’étend autour de lui.

Il restait à l’imagination d’en reconstruire l’histoire.

C’est pourquoi je prenais par à-coups quelques notes dans un carnet.

 

Première sortie en montagne aux col de Palomère, tour de Batère, Puig Estelle (1700 mètres). Lumière transcendant les horizons. Deux randonneurs sur le GR 10 et un solitaire en sens inverse.

Dans la hêtraie, des hépatiques blanches, bleues, des scilles.

Vers la Trinité, petite chapelle romane du massif des Aspres. Retour lent soleil dans le dos.

 

Aujourd’hui nous réussissons à partir tôt vers Boucheville via le plateau de Montalba-le-Château. Déjà dans un autre pays, protégé par son accès difficile et son aridité. Plateau entouré de falaises de lumière où ont pris position en sentinelles serrées des troncs lisses et argentés, les sapins pectinés.

Plus haut dans la hêtraie baignée de soleil, les premières jonquilles, les cyclamens, les hépatiques.

Vent qui chante dans les cimes.

Après le déjeuner, flânerie à la lisière où on reconnaît la forêt d’Ayguebonne, la Serre Calquière, la forêt des Fanges, le col Saint-Louis, le Pech de Bugarach, la grande falaise défensive des Corbières.

Atmosphère de piémont par les senteurs, la lumière jaune foin et grise bleutée, l’action du vent.

En bas dans un vallon inattendu, un ruisseau, des primevères, une paix tranquille.

 

Les horizons ouvrent-t-ils l’esprit ? Ou est-ce dû au chant des cimes au-delà du versant aride, au torrent insouciant, à la garrigue parfumée ? Je perçois soudain où se situe l’erreur qui paralyse l’algorithme que je n’avais pas pu corriger au moment de mon départ.

De mémoire je peux tracer le graphe qui remet tout en ordre. Je l’expédie au bureau à l’attention de mes collaborateurs.

Dès lors, l’esprit libre, je prépare un raid pour le lendemain. J’étudie la carte. L’attracteur évident, le massif du Madrès, capte mon imagination. Aucun autre objectif ne peut m’en détourner. C’est une de mes montagnes mythiques, déjà explorée durant l’été précédent. Maintenant je ne pourrai en faire qu’une approche. Le temps me fait défaut, la neige fera obstacle. Mais j’irai le plus loin possible. Il me faudra 1h30 de route en remontant le Conflent jusqu’à Olette. Ensuite je prendrai la petite route via Evol qui se termine en cul-de-sac au col de Porthus.

 

Grande marche lente en solo sur les hauts de Nohèdes. Premier parcours de crête au dessus du col de Porthus. Petites euphorbes, jonquilles, asarina procumbens.

Vent glacé. Renard. Scilles en fleurs. Thym serpolet. Raisin d’ours.

La neige déjà. Je continue. Pourrai–je me décider à faire demi-tour ? C’est bien connu, en montagne chaque élévation du terrain en cache une autre que l’on veut quand-même atteindre. Ici, sur mon terrain présent, chaque virage de la piste invite à être dépassé.

Dans un dégagement, un mas au toit incliné jusqu’au sol, les fenêtres cachées sous les volets.

Je sais qu’un événement me forcera à l’arrêt. Le voilà déjà alors que je débouche de la hêtraie : la vue du flanc Sud-Est du Madrès enneigé sous la crête coiffée d’un nuage étiré par la violente tramontane. Solitude, force des éléments naturels, une crête qui en cache d’autres. Plénitude de l’instant.

 

 

 MadresPiste2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MadresPortus79

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                   

 

 

 

MadresCrêtes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 J’ai connu par la suite le thème de la coïncidence des opposés

particulièrement exploré par le cardinal de Cuse (15è siècle).

 

 Mais déjà je le perçois ici sur le terrain où la nature mène un efficace combat d’arrière-garde.

 

Comme le dit Powys, certaines sensations premières deviennent des pensées.

 

 

 

 

Et la pensée vagabonde, cherche, crée de l’ordre, invente de nouveaux concepts pour lesquels elle invente aussi de nouvelles techniques de représentation comme les graphes et les réseaux.

Je suis confiant.

Un jour l’humanité créera un réseau universel permettant aux hommes de communiquer entre eux et de consulter le multivers virtuel d’une encyclopédie universelle.

 

 

Récursifschém

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PS :

 

Je parviens à déchiffrer la date de mon carnet de route : 04/1979

 

Beaucoup plus tard je trouverai une similitude entre le concept de multivers dû à Powys et celui d’hypertexte de Tim Berners-Lee.

J’aurai donc vécu l’aujourd’hui comme futur d’un présent ramené dans le passé.

 

 

 

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4 avril 2012 3 04 /04 /avril /2012 12:19
Vime 123
  Pourquoi choisir tel itinéraire de randonnée plutôt qu’un autre ?
Le choix résulte d’une disposition naturelle et d’un désir. Disposition qui fait qu’un marcheur est un marcheur ; désir suscité par l’attrait d’un biotope particulier et l’opportunité de s’y rendre.
Pour exprimer la nature de ce désir Je ne peux pas ne pas citer Plotin : « L’âme possède une faculté inquiète, toujours avide de traduire ailleurs ce qu’elle a vu dans l’Authentique Royaume… L’âme éternelle se revêt du temps à l’incessant mouvement en avant… ». (Ennéades 45, 7) On ne peut pas mieux dire ce que Basho répètera quelques siècles plus tard : « Je ne connaissais pas le repos lorsque l’esprit de l’errance s’empara de moi. Je ne pus plus rien tenir entre mes mains… ». Féconde inquiétude, ressort d’une dynamique. C’est le point de départ de la répétition qui crée l’invariant. Et cet invariant permet dans une certaine mesure d’échapper au temps.       
Le printemps est une époque de rupture qui provoque cette attitude de l’âme surtout lorsque paraît la floraison éphémère des jonquilles, et ensuite d’autres espèces qui vont scander le déploiement de ce moment. Les saisons structurent le temps cyclique qui marque par la répétition le temps irréversible.
Je découvris il y a six ans une étonnante floraison de jonquilles en Picardie dans le Vimeu, rive gauche de la baie de Somme. Le pays comprend une côte partagée entre une vaste lagune et des falaises.
Me voilà aujourd’hui de retour dans ce pays. Par l’estran, côté infini du Vimeu, je m’approche de Cise qui est une valleuse boisée et habitée coupant la falaise. Posée face à l’horizontalité de la mer, marquant une distinction, la falaise semble se rendre compte qu’elle est falaise. À regret elle cède de la matière aussitôt effacé par la mer. Le néant grignote l’étant.
   
 Vimeu 072Je monte sur le plateau via la valleuse. Je traverse le bois de Cise.
Ce bois, l'oxymoron parfait, la nature accordée à son contraire sous la forme d'un habitat inspiré par la Belle Epoque.
    
 
 
 
 
 
Les arbres du Bois de Cise vous racontent toute une histoire. Histoire de lutte, de cramponnage, de cohabitation avec l’intrus… Histoire exemplaire, histoire de notre temps, histoire de tous les temps. On pourrait ici ignorer la présence proche de la mer, n’était une houle de tempête se manifestant dans les ramures. Insoumises les jonquilles captent la lumière, l’aïl des ours se prépare ainsi que les bluebells.
Je m’arrête de temps à autre dans la genèse d’un texte à venir. Il s’agit de comprendre le processus de la perception, de la formulation fragmentaires et du passage presque imperceptibles de la sensation à la pensée. Bribes notées furtivement dans un petit carnet, développées éventuellement au rythme des pas, structurées ensuite en chambre dans un cahier, et de retour chez soi le texte définitif prend forme lors de la dictée à l’ordinateur.
Dans quelle mesure la plume précède-t-elle la pensée ? Un ensemble d'énoncés soudain deviendra évident. Le journal (ou carnet) est  le support du marcheur en tant qu’il marche en laissant vagabonder l’esprit. Je préfère le terme de « Tagebuch » plus évident que « journal » car il unit les notions de jour et livre. Tagebuch fidèle. On y retrouve d’année en année certaines régularités, dont celle que je vis maintenant dans le Vimeu a l’époque des jonquilles. L’inquiétude de l’âme décrite par Plotin entraîne à la découverte du nouveau mais aussi suscite la répétition qui est une façon de saisir et sauver des intervalles de temps. L'oeuvre créée peut perdurer. Et c'est une création qu'un itinéraire harmonieux qui peut lever de multiples horizons. Un itinéraire qui a de multiples niveaux d’interprétation. Le niveau du littéral, du signe, du caché.
Ces trois niveaux sont particulièrement adéquats dans le bois de Rompval. Contraste absolu avec Cise.
Hormis une clôture impitoyable qu’une brèche permet de franchir, aucune présence de l’homme. Un foisonnement d’arbres rabougris assiégés par le tapis serré de jonquilles, arbres en lutte,   image du devenir. Un bois tel que nulle part ailleurs j’en ai vu de semblable.
Dans l’interprétation littérale, il exprime la vie à un stade primitif. Rien de figé encore, mais des formes qui se cherchent, toute une nature en proto-structuration.     
Il est signe de liberté.
Au niveau du caché, cette nature révèle une pensée qui se fraye un chemin dans la diversité des potentialités de la nature.
Vime 116
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Après les falaises, le bocage du Vimeu. C’est un pays de vallons dont les versants mènent aux plateaux aux horizons successifs.
   Vime 205 
Vime 194
 
 
 
      Le temps et le sens de l’adéquation qui mène à l’harmonie font que les artefacts s’intègrent dans le paysage. J'en ai pris conscience en six ans de visites lors de la floraison des jonquilles. Un invariant s'est formé, un classique. Mais un invariant n’est pas figé. Il comprend de nombreux chemins de traverse. Le nouveau sourd sous nos pas au gré d’une imagination qui reste inquiète au gré du « temps à l’incessant mouvement en avant… »..
Le Tagebuch et les photos d’une année à l’autre retracent unité et diversité, l’invariant et le changement. Celui–ci souvent dans le regard sur les choses, animé par quelque découverte ailleurs, lecture ou expérience…
Le côté invariant de la randonnée est analogue à la notion de terroir qui est unicité mais dont d’une année à l’autre la saveur peut changer. Il est une façon de dompter le temps.
L’intérêt de l’invariance ?
Whitehead fournit une réponse : 
« Le monde qui met l’accent sur  la Persistance est le monde de la Valeur. La Valeur est par nature intemporelle et immortelle. Son essence n’est enracinée dans aucune circonstance passagère »
Et encore :
 
« Il y a deux aspects de la nature, en quelque sorte antagonistes l’un à l’autre et néanmoins essentiels l’un à l’autre. Le premier est le développement d’une avancée créatrice, caractères essentiels du devenir de la nature. Le second est la permanence des choses, le fait que la nature peut être reconnue. La nature est donc toujours quelque chose de nouveau, reliant des objets qui ne sont ni vieux ni neufs. »

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Der Wanderer

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18 mars 2012 7 18 /03 /mars /2012 07:49

 

Binntal 224

 

 

 

Que veut dire la phrase d’Heidegger : « L’homme ne peut pas penser aussi longtemps que ce qui demande à être pensé se retire » ?

Nous la comprendrons sans doute mieux en cette période de crise totale. Nous saisissons intuitivement que des repères se sont retirés. Ils ont été remplacés par des agences de notation. Toute chose peut être dégradée. Des lors ce qui est important peut être ramené au rang de futilité, et celle–ci élevée au niveau d’idoles à adorer.

La nouveauté qui exige la créativité fait place à la production d’objets à consommer. Objets qui malgré la délocalisation de l’industrie ont un coût exorbitant. Mais c’est la nature qui paye. Et l’homme dont le cerveau est construit pour le court terme ne s’en rend pas compte et cherche ailleurs les causes de la crise.

Situation qui paraîtrait sans issue s’il n’y avait déjà eu des hommes sensibles au long terme tels que Heidegger et John Cowper Powys. Une pensée à long terme est donc possible. Mais il est peut-être bon d’examiner à nouveau ce qu’est la pensée afin de se rendre compte dans quelle mesure elle peut être effective.

Heidegger nous dit qu’à la question « Qu’appelle t’on penser ? » on peut répondre en énonçant, parmi d’autres réponses, une nouvelle question :

-    Qu’est-ce qui nous appelle à penser ?

Appeler, c’est mettre en route. Cet appel conduit la pensée devant ce qui est un chemin, ce qui n’est pas un chemin, ou ce qui est un faux chemin.

Mais d’où vient cet appel ?

Parménide ouvre une voie en disant : « il est nécessaire de dire et de penser que l’étant est ».

Cela semble une évidence. En fait on perçoit ici l’amorce de la pensée platonicienne de la participation de l’étant à l’Etre, c’est-à-dire du changeant concret à l’universel invariant. Parménide précise que la pensée (noein) n’est une pensée que dans la mesure où elle reste sous la dépendance de l’Etre (einai) :

« To gar auto noein estin te kai einai » couramment traduit par « c’est la même chose que penser et être ». (Ceci n’est pas la définition de Heidegger, laquelle exigerait quelques développements supplémentaires.)

En effet la pensée n’est pas pensée en elle-même, séparée de l’être. Elle n’est pensée que par rapport à l’être, de même que pour Husserl la conscience est toujours conscience de quelque chose. L’être précède la pensée. Je suis, donc je peux être amené à penser. Et voilà sans doute la réponse à la question «  Mais d’où vient cet appel ? » posée plus haut.

Avec ce rapprochement de la pensée et de l’être on touche au problème de la vérité tel qu’il est défini par Aristote.

Le philosophe américain Charles Peirce aborde d’une toute autre façon le problème de la pensée. Selon lui, toute pensée fonctionne au moyen de signes. Il unit sous un même concept, la sémiotique, la pensée et la signification.

Ou à partir de constructions dans nos démarches routinières. C’est là encore, que l’on peut dire comme Heidegger que « ce qui demande à être pensé se retire ». Nos constructions ne sont souvent que des préjugés. Et nous avons de la peine à nous en dépouiller.

Appeler, c’est mettre sur le chemin, avons-nous vu plus haut. La notion de chemin  évoque aussitôt la marche dont la plus haute manifestation a lieu en montagne.

La montagne soudain entre dans la vision de celui qui vient de la plaine comme une présence dont il sera dépendant. Comme le dit Heidegger nous sommes d’abord sensibles au massif montagneux par son « être présent » plutôt que par sa situation géographique. Nous sommes confrontés à un massif comme on l’est à une personne. Nous ne pourrons jamais épuiser la question de l’être de ce massif, mais nous pouvons nous en approcher indéfiniment. Et nous serons hantés par quelques montagnes magiques comme Les Posets, le Cadi, le Leone, l’Aurouze, le Kandel …

Il est une caractéristique de la marche en montagne qui conduit à la vérité : on ne peut y tricher.

Nous y restons « sous la dépendance de l’être ». Les contraintes balisent le chemin. La direction à suivre, l’effort pour monter, le climat extrêmement changeant, l’environnement désertique, le terrain accidenté, autant d’éléments au moyen desquels la réalité se manifeste. 

Ces facteurs nous incitent à une adaptation constante. Il faut abandonner les idées construites comme on vide le sac à dos des objets inutiles.

Dès lors il devient possible d’interpréter les signes qui se présentent en accord avec la réalité. Le col se dévoile non plus comme un mouvement en creux de la crête, mais comme passage vers un autre versant. Les méandres d’un torrent mènent vers son origine sous les névés.

Des pics se présentent comme point de repère que l’on peut identifier au moyen de la carte. Dès lors ils reçoivent un nom. Ils ne nous quitterons plus. Nous les reverrons sans cesse sous d’autres aspects. Nous prenons possession du paysage, il nous prend en otages, que nous y soyons ou que nous soyons rendus à la plaine.

Ossola 253

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette communion avec la montagne n’est donc pas innocente. Nous y vivront simultanément la plénitude et la précarité, comme les deux versants d’une crête. Aussi y allons-nous sans ostentation. Il faut pouvoir revenir sur ses pas si nous avons pris le faux chemin. La soumission à l’être de l’espace est inséparable aussi d’une soumission au temps. Ce qui est en manque de quelque chose – et nous le sommes du fait de notre finitude – a besoin d’avenir. Le temps dont nous disposons est une ressource essentielle.

Temps silencieux comme nos pensées dont Nietzsche déclare :

 «  les pensées qui viennent a pas de colombes dirigent le monde ».

 

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5 mars 2012 1 05 /03 /mars /2012 09:18

 

Livres 035 

 

 

                                                

Les livres sont des amis,

Les amis sont plus que des livres,

Les livres sont plus que des livres.

 

 

 

 

 

Les chemins du livre sont innombrables et se croisent

à certains endroits,

à certaines époques.

 

Réseau de chemins très peuplés à la façon dont la nature sème à profusion afin de donner à quelques exemplaires le cycle complet de la vie.

 

Je m’engage dans le réseau des allées de la foire sans tenir compte du plan schématique que j’ai reçu.

J’en considère l’ensemble comme un labyrinthe ou mes pas traceront un itinéraire exhaustif. Les yeux en fait mènent le jeu. Des yeux animés par quelques thèmes. Des thèmes qui suscitent le désir. Des thèmes découverts sur les chemins des lectures. Chemins du prévisible et de l’inattendu.

La lecture du vrai lecteur est parfois interrompue, mais dans le fond elle est continue. Des titres découverts peuplent la mémoire. Ils sont rarement isolés et se font échos les uns les autres. Certains restent inaccessibles et deviennent d’autant plus désirables. Parallèlement aux chemins de la lecture se forment des chemins de recherche.

Et qui cherche trouve… ou ne trouve pas. Mais parfois il y a trouvaille sans recherche.

Dans le premier cas nous avons affaire à une relation déterministe de cause à effets.

Dans le deuxième cas nous nous trouvons devant l’aléatoire. Dans le premier cas nous éprouvons un sentiment de satisfaction.

Dans le deuxième cas, c’est le bonheur analogue à celui que procure une  création.

 

L’inattendu allant plus loin que l’obtention d’un résultat ouvre de nouveaux chemins.

Mais ce n’est pas tout à fait « par hasard » que l’on débouche sur l’inattendu. Il n’existe sans doute pas de hasard pur. Nos yeux étaient préparés par le désir. Il y a là comme un facteur constructiviste. Je vois ce que je veux voir. Je devais rencontrer telle personne ou tel livre parce que je le voulais. Nous sommes à deux doigts, ou beaucoup plus près encore, du hasard. Mais que serait la découverte due au hasard pur sans l’élément du désir ou de l’émotion ? L’étonnement sans doute, mais l’émerveillement ?

   

Mes chemins m’ont parfois mené à l’inattendu désiré sans espoir de trouver.

Autrefois à Krakow, alors qu’un bref répit me détournait de ma mission, je tombai sur les « Collected Works » de Lesniewski dont je n’espérais même pas l’existence.

À Londres je trouvai en cherchant sans chercher (c’est-à-dire sans espoir d’aboutir) des œuvres de John Cowper Powys.

Et ici même, à la foire du Livre, autrefois le Dostoïevski de Bakhtine, et lors de ma dernière visite un atlas du Condroz et le journal de route « C’est à Craonne sur le plateau… ».

 

Concernant ce dernier titre le phénomène de l’œil éveillé par l’émotion est particulièrement évident. Craonne, il en fut question dans un article récent de ce blog (Du Sentier à l’Utopie). Ce nom évoque pour moi d’innombrables parcours sur les chemins de la Picardie autrefois marquée par les terribles combats, aujourd’hui toujours fascinante par ses vastes horizons.

 

Une activité de longue date, la rando et, lors de celle-ci, la découverte fortuite dans un office de tourisme de la chanson de Craonne forment une série causale.

Une autre série causale est constituée par la visite annuelle de la Foire du Livre et la présence là d’un ouvrage au titre évoquant Craonne.

Les deux séries se rencontrent : voilà le hasard !

 

Il y a comme un phénomène d’invariance. Les chemins sur le terrain où l’on marche mènent aux livres alors que l’esprit dégagé par le mouvement vagabonde ; les livres demandent à être ressassés sur les chemins pour que l’on en saisisse le mouvement profond.

 

livre2-004.JPG

 

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21 février 2012 2 21 /02 /février /2012 16:25

Cance-081.JPG

 

 

 

  

La Cance coule sous la glace, la bise siffle, les flocons cherchent où se poser.

Une fumée s’agite au dessus du hameau sur le versant d’en face.

Le froid vous chasse vers l’intérieur.

Et pourtant une pensée : vivre la Cance intensément.

Elle trace le chemin vers le haut de la vallée où sur le plateau incurvée comme un col se cache Saint-Bonnet-le-Froid.

 

C’était hier. Aujourd’hui la lumière est revenue. J’ouvre le sentier étroit tout blanc le long du versant Sud de la vallée de la Cance. Je marche en direction de Saint-Bonnet sans intention d’y arriver. Je ne dispose pas des 5 heures nécessaires. Y tendre est une façon de vivre la Cance sous tous ses aspects.

Je marche prudemment, assurant chaque pas. Je débouche sur une piste. Le monde soudain tournoie alors que j’essaie de rattraper l’équilibre perdu du fait de la glace sous la neige.

 

La neige !

 Un énoncé complexe de Tarski me revient à la mémoire :

      

« « La neige est blanche » si et seulement si la neige est blanche ».

 

Tautologie ?

Certes non !

 

Que l’énoncé traite de la neige convient à Tarski le Polonais.

Mais qu’il s’agisse d’un énoncé traitant de la vérité est le but de Tarski le logicien.

En effet, si on définit la vérité par un énoncé du genre « la vérité est l’adéquation de la pensée avec la réalité » on ne peut rien en conclure. Car on devrait pouvoir dire que cet énoncé est « vrai ». Mais il s’agit justement de définir le « vrai ». On débouche donc sur une pétition de principe.

D’où cette construction d’un énoncé à deux niveaux, le premier dans le langage ordinaire, le second dans un métalangage qui donne la condition de satisfaction du premier énoncé selon le schéma « « quelque chose est ceci ou cela » si et seulement si ceci ou cela est le fait ». Autrement dit, l’énoncé prononcé doit correspondre à la réalité. On se souviendra en effet que les concepts sémantiques de satisfaction et de définition traitent des relations entre expressions et objets.

 

La vérité !

 

Il en fut question lors de la réunion que je viens de quitter. Il s’agissait de savoir comment aboutir à la réconciliation alors qu’une offense a été commise. On ne peut d’aucune façon nier l’offense si on veut que la réconciliation soit vraie. Il est nécessaire que l’offense soit reconnue. L’indulgence ne peut qu’affadir la vérité.

Ensuite il s’agit d’aller plus loin, par d’autres voies.

 

Le vrai facilement voisine avec le faux. Comme toujours les opposés coexistent.

Comme ici la lumière et là-bas l’ombre épaisse où se niche Saint-Bonnet-le-froid.

Je n’arriverai pas aujourd’hui a réaliser le vieux rêve d’atteindre ce bourg qui lui-même ouvre de nouveaux chemins.

Je n’ai sans doute pas encore suffisamment vécu la Cance.

Mais le temps passe, le temps presse.

J’espère encore un jour disposer de mes 5 heures nécessaires.

Oui, je l’espère.

 

Si et seulement si…

 The pilgrim

 

 

Cance-043.JPG

 

 

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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 07:28

Guise 003

 

 

Hier donc au vent sifflant nous sommes sortis sur les sentiers protégés par les chênes et hêtres dénudés de la forêt de Mormal. Forêt longée par une impitoyable chaussée romaine.

Le gros de la journée  par les laies, bearing in mind tant d’autres ressassements de nos pas sur le sol gelé jonché de feuilles mortes ou sur un sol détrempé ou avivé par la jeune végétation du printemps. Bearing in mind nos rêveries, nos sensations, nos pensées, nos calculs, nos projets et le fait même de penser.

Les souvenirs lointains fusionnent avec l’instant comme si le temps s’était compressé. En lisière, le bocage s’étend en échiquier de cases irrégulières délimitées par les haies.

Bearing in mind ce que j’emporte avec moi dans l’esprit comme mon bagage sur le dos. Mais celui–ci je peux m’en défaire, non l’autre qui fait l’objet d’un processus récursif.

 

 Guise 010

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hier nous a appris qu’aujourd’hui il ne faut pas s’exposer aux vents de Nord-Est sur les sentiers non protégés. C’est le temps d’explorer plus loin, en voiture, de l’espace inconnu.

Guise 072

  Guise 020Crise, bise, Guise. Car nous avions lu l’article de Godin qui inventa le poêle rustique et le familistère sophistiqué, le Palais Social.

 

 

 

 

 

Familistère qui est une ville dans la ville de Guise, une utopie fondée sur une idéologie, celle-là même qui depuis des millénaires hante l’humanité : il s’agit rien moins que de dépasser nos limites. Vieux rêve qui d’une autre façon, celle des situationnistes, tenta en 1968 de bouleverser notre condition.

 Guise 022

 

 

 

 

 

 

 

 L’observateur pénètre sans prévention sous une verrière couvrant une partie d’un nouvel univers de 10.000.000 de briques. Et de suite se pose la question : comment rendre supportable le bonheur dans une machine pour ensemble habiter, travailler, produire, distraire, fêter… ? Aujourd’hui le familistère n’est plus qu’une carapace hantée par un rêve qui avait pris corps avec tous les élans d’une idéologie provoquant les solidarités et les oppositions.

Les vestiges totalement inutiles d’un immense déploiement des efforts subsistent, ordonnés pour plaire à la vue.

 Guise 029

 

 

 

 

 

 

 

L’observateur y vient durant deux heures pour se défaire de ses habitudes. Les symétries des bâtiments provoquent un choc. Aucune échappatoire pour la courbe aléatoire. Le multivers a implosé en univers. Il n’est plus de distinction. L’impression prend corps d’une impasse dans l’Evolution.

Fallait-il tenter une telle entreprise ? Elle a quand même intéressé 1700 personnes. Elle a suscité une créativité certaine tant au point de vue technique qu’au point de vue relations humaines. L’œuvre a été pensée. Une société a appris à se connaître. Car, comme dit Vico, "on ne peut connaître que ce l’on a fabriqué ». Attitude constructiviste que tôt ou tard la réalité redresse.

Devant cette réalisation l’observateur ne peut que s’incliner et fuir. Ce qu’il fait aussitôt en prenant la route des églises fortifiées de la Thiérache. Flavigny-le-Grand, Englancourt, Prische parmi une cinquantaine d’autres monuments qui font coïncider la défense contre l’Adversaire intérieur et l’adversaire extérieur. Pourquoi sur cette terre là ? Terre de marches, voies d’invasions.  Terre de la condition humaine qui est conflits parfois interrompus par des moments de paix ?

Guise 107

 

 

 

 

 

 Guise 103

 

 

 

 

Beaucoup de questions. Nous ne pourront plus faire abstraction du projet familistère, un très ancien projet. Et je songe à Babel, lorsque les hommes ne formant qu’un seul peuple ne parlant qu’une seule langue, ivre de solidarité, conçurent le projet de monter une tour jusqu’au ciel.

On connaît la suite, leurs langues brouillées  afin « qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres, la dispersion des hommes sur toute la surface de la terre ». Ce texte réduit à néant toute tentative définitive d’union des peuples.

Il y eut donc des guerres répétées. Non loin d’ici, au Chemin des Dames, l’apocalypse suscita la poignante chanson de Craonne :

« Adieu la vie, adieu l’amour, adieu toutes les femmes… c’est bien fini c’est pour toujours de cette guerre infâme. C’est à Craonne, sur le plateau qu’on doit laisser not’ peau. Car nous sommes tous condamnés, nous sommes les sacrifiés… »

En 1917, les mutineries faillirent défaire l’armée française. Le péril toujours vient aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur.

Néanmoins, il faut s’accrocher. Reste à œuvrer pour créer des conditions relativement bonnes d’existence. Et pour cela peut-être faut-il construire des églises fortifiées.

Entre-temps voilà la Thiérache, un bocage, des haies pour abriter les oiseaux, les prairies humides où peuvent fleurir les cardamines, les merveilleux produits du terroir, le maroilles « plus fin des fromages forts », l’accueil, le simple bonheur de vivre.

Der Wanderer

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       

 

 

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16 janvier 2012 1 16 /01 /janvier /2012 05:28

 

 

 

 

 

 

 

 

Pyrénées2 088

 

 

 

 

 

 

 

« Pendant que des vents loups déferlent des crêtes »  …

 

On ne pouvait mieux exprimer l’âme de cet immense massif, les Pyrénées, dont Vicdessos est un haut lieu. La citation provenait du troisième tome de poésie, intitulé « Années d’apprentissage » des œuvres complètes de Salvador Espriu.

Nous étions quelques Français, Catalans, Autrichiens, Belge autour de la table du soir au gîte à flanc de montagne. Les Catalans étaient venus à Vicdessos dans la certitude d’y trouver la fraîcheur qui en septembre faisait encore défaut à Barcelone. Le poète catalan Salvador Espriu fut le trait d’union entre ces hommes et femmes venus des deux versants pyrénéens. J’avais évoqué ce nom et aussitôt la conversation avait démarré.

Moi aussi je considérais mes 40 ans de Pyrénées comme des années d’apprentissage. 40 ans d’itinéraires ouverts, sans aboutir à aucune destination définitive. Comment aller à l’essentiel alors qu’on partage l’ignorance de celui pour qui tous les horizons présentent la même séduction ? L’insoluble problème du choix. Comment atteindre « l’illimitée de ce qui est fini » ? L’insoluble problème du temps.

Qu’avais-je retenu de ces 40 années ? Ce n’était pas le moment de faire un bilan. D’autres ne manqueront pas de le faire pour moi !

Je serais heureux si j’avais pu approcher quelque peu de la vérité. Qu’est-ce que la vérité ? Trois fois la question est posée dans le recueil des « Années d’apprentissage » de Salvador Espriu qui tente quelques définitions :

-    La solitude de l’homme et son effroi secret…

-    Du verre jeté et fracassé en morceaux aux quatre vents de la ville…3Seign200709

-    Qui sait, toi peut-être, toi aussi, ou personne…

Définitions de poète. J’en retiens que la réalité est de structure ternaire comme l’avait pressenti Achard de Saint-Victor au 12e siècle en osant définir la Trinité comme composé de L’Un, l’Egal, l’Egalité. Son audace lui coûta 800 ans d’obscurité jusqu’au moment où la ternarité fut de nos jours confirmée par de grands contemporains comme Charles Peirce, Franz Rosenzweig et Raymond Panikkar (catalan par sa mère), ces deux derniers précisant qu’il s’agit de Dieu, le cosmos, l’homme.

J’en retiens aussi qu’elle (la vérité) ne s’approche que par un imprévisible chemin sinueux. On y chemine souvent sans savoir avec certitude sur quel versant il va nous mener.

Je n’en restai pas à la théorie. La conversation avait glissé des hauteurs culturelles aux crêtes d’où déferlent les « vents loups ». Et là encore il avait été question de structure ternaire, celle de la vallée de Vicdessos.

L’axe majeur de la vallée est balisé par trois grands massifs, le Montcalm (3077 m) flanqué du Sullo, le Pic Rouge de Bassies (2676) et le Pic des Trois Seigneurs (2199).

 Balises de l’espace mais aussi du temps, « car, précise un des montagnards présents à la table, la position de ces montagnes définit le parcours de l’orage. Celui–ci sévit à 13h00 sur les sommets du Montcalm, à 15h00 sur le Pic Rouge de Bassies, à 17h00 sur le Pic des Trois Seigneurs. Celui–ci, le moins haut, est le plus redoutable, car il contient d'importants gisements de fer. Certains l’ont expérimenté au prix de leur vie. »3Seign200709b

Précieux enseignement dont je tins compte quatre ans plus tard lorsque j’entrepris enfin une exploration du Pic des Trois Seigneurs.

Départ à la fraîche vers les crêtes invisibles. De temps à autre une rafale de vent déchirait la brume, offrant un paysage de grande beauté, toujours autre. Balises et cairns confirmaient le tracé du sentier, donnant au marcheur en solo la confiance d’aboutir au point préalablement fixé sur la carte. Parfois lors d’un embranchement un instant de réflexion pour éviter de descendre sur le versant opposé.

Je débouchai près du col parmi les gasconnes dont  j’entendais depuis un certain temps les clarines. Et déjà je faisais des projets pour les jours suivants en fonction de mon crédit de temps.

Crédit si mesuré qu’il oblige de piocher l’éternité pour en extraire le temps qui fait défaut.

 

 3Seigneurs200709

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3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 07:58

Rodin 

 

 

 

 

 

 

 

Longtemps les hommes ont cru que le soleil tournait autour de la terre. Copernic a révolutionné cette vision en affirmant la rotation de la terre autour du soleil.

Il a introduit ce que Thomas Kuhn appelle un nouveau paradigme.

De même la relativité d’Einstein a remplacé le système classique de Newton qui en devient un cas limite.

 Un nouveau paradigme constitue une révolution.

 On sait qu’une révolution intervient lors d’un profond malaise dans une société. En science la recherche continue aboutit souvent à la découverte d’anomalies qui remettent en question une théorie.

Les scientifiques tentent alors de remédier à ces anomalies dans le cadre même de la théorie en question. Ils défendent leur paradigme jusqu’au moment où un chercheur de génie remet en cause les fondations mêmes de celui-ci en proposant une toute nouvelle vision des phénomènes qui font l’objet de la théorie en cours. De cette nouvelle vision découlent de nouveaux concepts, un nouveau vocabulaire, de nouvelles méthodes.

Avec un nouveau paradigme la vision change comme si on se trouvait dans un monde nouveau.

Plus que tout autre, le concept de paradigme nous introduit au cœur même du processus d’évolution scientifique. À la croisée des chemins, il joue le rôle d’une balise indiquant la direction du col à franchir.

 

La relecture de “ The Structure of Scientific Revolutions” de Thomas S. Kuhn me rappela les tourments d’un homme, un ami presque, dont l’œuvre m’avait interpellé. Longtemps j’avais cru qu’il avait réalisé une réelle percée dans l’aspect sémantique des langages informatiques. Promesse non tenue. Je le perdis de vue. Un soir au coin du feu je tombai sur un récit qui évoquait fort bien ce que pourrait être le destin de cet ami.

 

-x-

 

Vivant dans la crainte du nouveau paradigme, Ronoff guettait le moindre signe qui lui semblait pouvoir soutenir son modèle devenu classique.

Son paradigme.

 

Il ouvrit le premier livre qui lui avait été consacré.

Vingt cinq ans déjà !

Sur la couverture, la photo d’un homme jeune, au regard ardent d’une précoce maturité, légèrement voilé par de larges lunettes.

Le visage  appuyé sur la main.

Heureux couplage des deux attributs physiques apparents de l’intelligence, les yeux et la main.

 

Il se leva et se posta devant le miroir. Son visage avait gardé la fermeté d’antan. Un soupçon d’inquiétude, peut-être, dans le regard, et des cheveux gris évidemment, à peine moins fournis.

Il se rassit, feuilleta le livre, en sortit un article traitant de son modèle.

 

Il hésita, tendit la main vers le téléphone, ressentit ce geste comme une défaillance.

 

Ilona !

 

Il l’avait éradiquée, elle était toujours là. Il réfléchit à cette énigme. Un désir peut déclencher une décision, une décision ne peut éteindre un désir.

Vivre avec donc. A moins que…

 

Sa main à nouveau se tendit vers le téléphone.

 

Une anomalie remettait en question son modèle !

 

Avoir le courage de rester tranquille, il ne le pouvait pas. Le nouveau paradigme s’était glissé dans sa  peau. Je n’irai pas plus loin, se dit-il, j’en resterai à mon paradigme. Il irait plus loin, il le savait. Tout évoluait.

 

On ne parlait plus maintenant que du nouveau paradigme qui balayait ce qu’il avait pensé, conçu, mis en forme, écrit, publié, clamé.

Réagir.

Sa théorie était vraie, elle avait réagi aux anomalies de son temps, donc l’autre, la nouvelle, était fausse. Il était de son devoir d’affirmer la vérité. Dire le vrai sur le vrai.

La vérité devait être reconnue comme lui-même avait voulu être reconnu.

 

Le désir de reconnaissance pousse aux extrêmes, jusqu’aux idéologies, jusqu’au mensonge.

 

Pourquoi revoir Ilona ?

 

Elle lui avait été d’un immense réconfort.

Le temps de la jeunesse.

Elle était venue vers lui spontanément, après une marche et encore une fois, après une conférence qu’il avait donnée.

 

Cela doit être connu, avait-elle dit, cela ne peut rester dans l’oubli.

 

Mais la critique avait été dure. Puis un article de l’étranger avait parlé du caractère incontournable de la théorie de Ronoff.

La théorie avait décollé. Elena ne le quittait plus. Au lit et face à l’écran, un même bonheur.

 

Les publications se succédaient. L’échange épistolaire avec le monde scientifique s’amplifiait. Ilona mettait de l’ordre dans le torrent d’idées. Peut-être avait-elle inspiré certains infléchissements de sa théorie, notamment son côté esthétique. Que d’élégance dans la formulation ! Le signe d’un vrai paradigme.

 

Parfois ils se retiraient dans l’anonymat d’une auberge en forêt ou en montagne.

 

Meuse-061.jpg- Tu déplorais mon isolement, maintenant nous le cherchons.

- Chaque situation appelle son contraire.

- Etre aimé, ensuite être oublié.

 

Elle l’embrassa pour le faire taire.

Elle l’avait quitté.

L’aventure n’avait pas duré trois ans.

 

Sa théorie l’avait soutenu. Il lui avait donné un développement décisif. Elle n’avait pas duré trente ans !

Une théorie n’est jamais qu’une lumière instable dans la nuit.

 

Et maintenant ? Qu’en penserait Ilona ?

Elle ne pouvait ignorer les nouveaux développements.

“Chaque situation appelle son contraire”.

 

Il tendit la main vers le téléphone.

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                       

 

 

 

 

 

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17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 08:32

 

Par la marche et la respiration nous entrons dans le paysage et y participons. C’est l’essence même de la randonnée.

En observant et en percevant l’espace ouvert, nous le transformons, nous le créons. Nous y établissons des limites et agençons des relations entre des points saillants ou même des horizons.

 

 

La photo permettra ensuite de formaliser ce qui n’est jusqu’à présent qu’un  champ en friche. Le succès de cette opération dépendra de nombreux paramètres. Car quel que soit l’espace délimité, il faut obtenir une distinction générant une signification.

 

Les photos a et b ci-dessous donnent à comprendre de quoi il s’agit. Tout en étant le reflet d’un espace délimité, nous ne pouvons donner une signification particulière à la  première, même en sachant qu’il s’agit de la mer.

 

sansDistinct.jpg

 

 

 

                                                       graffiti200705.jpgb

 

 

 

 

 

 

 

La photo b, par contre, d’un espace similaire, nous interpelle tout de suite du fait de la balafre d’écume qui zigzague sur l’eau. Le mouvement d’abord hésitant de la courbe vers le droite crée un espace supplémentaire. Nous pouvons maintenant distinguer la partie gauche qui annonce le grand large de la partie droite délimitée par le rivage. Car la photo telle qu’elle est suggère la position du photographe qui forcément se trouve sur le littoral. 

A moins qu’elle ne soit prise d’avion, auquel cas nous donnerions  une signification alternative à la distinction d’un espace unique générant un espace multiple.

Un espace de potentialités est ouvert. Une création dans une certaine mesure. Mais nous savons d’après Plotin et Whitehead qu’il y a création par unification du divers. Non par uniformisation comme dans la photo a, mais harmonie comme dans les photos c et d.

 

 

 

  mouette.jpg      c                                       

 

                            

Waterland-105.jpg                                                                                                                                        

                                                                            d                                                       

 

La photo c nous apporte quelque chose de plus. La présence de la mouette au-dessus de l’eau suscite un effet de troisième dimension. D’où une distinction évidente par rapport à l’espace plan. Du mouvement des ailes jaillit une dynamique. L’origine de l’ombre sous la mouette nous est inconnue, ce qui crée du mystère, de l’épaisseur. L’horizon est dégagé, d’où un effet de profondeur.

Avec peu d’éléments,  la photo nous livre une parcelle d’univers.

La photo d ouvre délibérément le paysage. La mer s’est animée. Des artefacts se maintiennent à l’avant plan avant d’être submergés par les flots. Gonflant l’horizon, une longue ligne de dunes côtières se devine. Le mouvement puissant des nuages reflète celui des lames.

Une photo peut nous enchanter par la composition et la lumière qui y est distribuée. Mais le randonneur songera peut-être à dépasser ce qu’une photo bien réussie peut nous donner. Une photo n’est pas un tableau au charme inépuisable.

Le photographe profitera utilement des possibilités de multiplier aisément les photos. Il songera à l’avance, sur le terrain, à grouper plusieurs photos en une composition. On y trouvera une composition de compositions donnant un sens définitif ou ambigu aux significations particulières. Elle sera éventuellement aussi une narration faisant écho au trajet accompli par le marcheur.

Le côté « view » avive nos perceptions et nos connaissances. Aristote déjà disait : « L’homme a naturellement la passion de connaître ; nous prenons plaisir aux perceptions des sens. Et au-dessus de toutes les autres, nous plaçons celles que nous procurent les yeux. » (Métaphysique livre A)

Pour Plotin, l’intelligence doit voir la forme (logos). La beauté doit être contemplée avec l’œil intérieur. Il y a intentionnalité. Celui qui contemple voit plus que les apparences. Il a accès à la réalité.

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